France Télécom : "Des humiliations quotidiennes"

"Un management de la terreur"

Alors que les suicides et tentatives de suicide se multiplient au sein de France Télécom, Le Monde.fr a demandé à des employés de témoigner sur leurs conditions de travail. Si certains employés relativisent une "surmédiatisation de drames personnels", d'autres pointent du doigt un management par la terreur et une culture du rendement.

  • "Ce que je vois me choque profondément", par Anonyme

Je suis employé à France Télécom dans un service dédié aux clients ayant un chiffre d'affaires élevé. Ce que je vois tous les jours au travail me choque profondément. Je ne parle ni des restructurations, ni des suppressions de postes, mais bien du management au jour le jour. Un management par la terreur. Nous sommes obligés de demander la permission à notre responsable pour aller aux toilettes. Si le temps de pause dépasse une minute, nous devons fournir une explication écrite. Les demandes de congés restent sans réponse. Ces humiliations sont quotidiennes, notamment pour les collègues de plus de 50 ans qui ont accepté ces fameuses mutations, sur des postes inférieurs, pour le bien de l'entreprise. Mon indignation face à de tels comportements m'a attiré une réelle animosité de la part de mes responsables.

  • "J'ai vu autour de moi la souffrances de mes collègues", par Catherine R.

Le changement d'ambiance est survenu en 2000-2001. A 50 ans, j'ai accepté une prime pour quitter France Télécom, je n'avais plus assez d'énergie. J'ai vu autour de moi la souffrance de mes collègues : arrêts-maladie, dépression, et les crises de larmes sur le plateau étaient très courants, et je sais que cela ne s'est pas amélioré depuis. On ne se sent pas soutenu par la hiérarchie. Lorsque j'ai perdu brutalement mon boulot aux ressources humaines, j'avoue avoir eu envie le soir en rentrant en larmes de projeter ma voiture contre un platane. C'est la seule fois de ma vie que cela m'est arrivé.

  • "On minimise les coûts sans tenir compte des conditions de réussite", par Gérard A.

Je ne travaille plus à France Télécom, mais je suis président d'une association de retraités qui "récupère" chaque semaine des nouveaux adhérents issus de France Télécom, usés, déçus, amers. Personnellement, j'ai vu de l'intérieur comment se préparaient et se déroulaient ces restructurations "indispensables". On paie – cher – un consultant. On minimise les coûts sans tenir compte des conditions de réussite. C'est ainsi que des comptables se retrouvent aux ressources humaines, des techniciens opérateurs sont mutés dans des centres d'appels... Sans formation préalable, ils se retrouvent en situation d'échec. Quant aux managers, ils ne sont ni recrutés ni évalués sur leurs compétences managériales, mais sur leur aptitude à dégager du cash.

  • "Combien de temps vais-je tenir avant de craquer à mon tour ?", par Olivia L.

Il y a dix ans, j'étais fière d'avoir signé mon CDI à France Télécom, le travail était intéressant et j'étais épanouie. Depuis, les choses ont bien changé. Le caractère humain a complètement disparu, nous ne sommes considérés que comme des chiffres. Travaillant sur une plate-forme d'appel, la seule chose qui compte maintenant c'est combien d'appels j'ai pris dans la journée et combien de ventes j'ai pu faire. Le stress est permanent et les mutations de services fréquentes, j'en suis à mon sixième poste et je n'ai rien demandé ! On nous demande de nous remettre en question en permanence, de recommencer à zéro à chaque fois et de vendre encore plus. La plupart de mes collègues sont sous anti-dépresseurs. Combien de temps vais-je tenir avant de craquer à mon tour ?

  • "Ce n'est plus du travail mais du pilotage à vue", par Daniel Lebrun

Hormis le stress, je dirais que c'est plus la qualité du travail qui est en cause : ce n'est plus du travail mais du pilotage à vue. Il est impossible de comprendre la statégie à long terme de l'entreprise. Les métiers techniques, prédominants il y a quelques années, ont disparu. La recherche et développement est complètement désorganisée. Des personnes passionnées par leur travail se sont retrouvées sur des postes de ressources humaines, de marketing... Des postes qui ne soulèvent pas l'enthousiasme. La dégradation des conditions de travail a commencé à l'instant où notre PDG a décidé que France Télécom devenait une société de services et que la technique devait désormais être assurée par des industriels. Monsieur Lombard [PDG d'Orange] devrait se souvenir de ses débuts dans la maison, de l'ambiance de l'époque.


"Une surmédiatisation de drames individuels"
  • "Nous aidons nos employés", par X...

Je suis directeur commercial d'un centre France Télécom dans la région Ile-de-France. Je suis outré de voir ce rapprochement fait par la presse entre les suicides et les réformes mises en place par notre direction. Il faut savoir que nos employés bénéficient de facilités notoires. Un employé de mon centre reçoit en général deux avances de salaire par an. Nous les aidons pour leurs demandes de crédit et tentons de leur offrir des horaires humains et adaptés à leur vie privée. Je travaille pour gagner de l'argent mais aussi pour le bien-être de mes employés. Et je ne suis pas le seul. Je vis mon job 24h/24, alors qu'on parle de climat invivable au sein de France Télécom me fait bien rire.

  • "L'ambiance y est excellente", par Yohann M.

J'ai eu l'occasion en 2007 et 2008 de travailler dans les locaux de France Télécom Recherche et Développement en tant que prestataire de services. Je peux vous assurer que l'ambiance y est excellente. En tant que prestataire, les avantages sont loin d'être les mêmes que ceux des employés de France Télécom. Je ne comprends pas pourquoi les médias s'en prennent de cette façon à eux, il y a à mon avis peu d'entreprises pour lesquelles il est plus agréable de travailler que France Télécom.

  • "Une surmédiatisation de drames individuels", par Cécilia B.

Salariée de France Télécom, j'estime que les conditions de travail ne se sont pas particulièrement détériorées au sein de l'entreprise depuis mon entrée en 1990. L'entreprise a certes connu des changements importants (transformations structurelles, évolutions technologiques et ouverture à la concurrence), mais ces mutations ne sont qu'un reflet de l'évolution de la société. La "vague" de suicides ou tentatives de suicide reflète moins une dégradation de l'ambiance de travail qu'une surmédiatisation de drames individuels, entretenue par quelques organisations syndicales qui tentent d'exploiter la fragilité de salariés qui peuvent être confrontés à des situations individuelles de travail difficiles, pour généraliser le phénomène. C'est dangereux, voire irresponsable dans le cas du suicide.

  • "Des milliers de chômeurs rêveraient d'avoir ces conditions de travail", par Michel N.

J'enchaîne sans arrêter, depuis 1998, les contrats chez France Télécom, en tant que prestataire de services informatiques. La plupart des prestataires, ici, seraient satisfaits d'avoir la sécurité d'emploi relative, les syndicats puissants, et l'accès aux avantages du comité d'entreprise de France Télécom ! Certains "vrais salariés" de France Télécom devraient aller faire un tour dans une société de services informatiques, ça les ferait sans doute relativiser. Attribuer un suicide aux conditions de travail chez France Télécom ? C'est limite indécent. Des centaines de milliers de chômeurs rêveraient d'avoir ces conditions de travail.