La justice belge peu pressée d'en finir avec l'affaire Tintin



Les plaignants dénoncent des «stéréotypes racistes» dans l'album «Tintin au Congo». La défense crie à la censure.

Tintin au Congo sera-t-il un jour interdit en Belgique pour cause de racisme? C'est ce qu'espère Bienvenu Mbutu Mondondo, un citoyen congolais de RDC installé depuis vingt ans à Bruxelles: il a porté plainte pour obtenir que l'album soit retiré de la vente, ou qu'au moins «un avertissement y soit inséré pour remettre l'œuvre dans son contexte». Mais l'affaire, qui dure depuis des mois, risque de traîner encore en longueur. À quelques jours du cinquantenaire de l'indépendance de la République démocratique du Congo, le 30 juin prochain, le tribunal de première instance de Bruxelles devait dire lundi s'il est compétent pour juger. La juge a reporté sa décision pour des questions de procédure.

Avec ses Noirs en pagne et ses répliques d'opérette («ça y en a Tintin!» «c'est li y en a volé mon beau chapeau!»), le célèbre album a souvent fait grincer des dents depuis sa publication, en 1930. Hergé l'avait repris en 1946, supprimant au passage les détails les plus colonialistes: la leçon de géographie sur «Votre patrie: la Belgique!» donnée par Tintin se trouva ainsi remplacée par un cours de mathématiques.

La bande dessinée n'en garde pas moins des stéréotypes inacceptables pour les plaignants. «Le message est extrêmement humiliant envers les Noirs. Tous sont considérés comme des idiots, de grands enfants, c'est assez rare de tomber sur une BD aussi violente», explique Me Ahmed L'Hedim, leur avocat. D'où la demande d'un avertissement, comme au Royaume-Uni, «pour éviter que des enfants puissent tomber sur cette bande dessinée sans qu'un adulte leur dise de prendre du recul». Si l'avocat ne remet pas en cause la liberté d'expression, il juge qu'il faut fixer des limites. «On touche au cœur du patrimoine belge, c'est un peu le combat de David contre Goliath. Mais, d'un point de vue légal, cette BD est raciste et en contravention.»

Du côté des éditeurs de Tintin, on juge le combat erroné. L'album véhicule les clichés coloniaux de l'époque; Hergé lui-même l'avait reconnu a posteriori. Mais, à ce compte-là, on peut interdire une bonne partie de la littérature mondiale jusqu'aux années 1970, estime Me Alain Berenboom, l'avocat des éditions Casterman et de la société Moulinsart. «Que dire de Dickens, de Mark Twain? Entre l'antisémitisme virulent de Jules Verne et la gentillesse condescendante de Hergé, il y a un monde.» L'interdiction serait pour lui une concession dangereuse au politiquement correct, et du jamais-vu depuis les années 1950, où la justice avait dans son viseur certains ouvrages trop licencieux. «En Égypte, des avocats ont demandé l'interdiction des Mille et Une Nuits au motif que cela offense la morale musulmane, voilà où il ne faut pas arriver. La pensée est libre, la censure est terrible», ajoute l'avocat.

Rejoint dans son combat par un autre ressortissant congolais et soutenu par le Cran (le Conseil représentatif des Associations noires), Bienvenu Mbutu Mondondo assure qu'il ira jusqu'à la Cour européenne des droits de l'homme s'il le faut. Et même si la justice lui donne tort, «au moins c'est une victoire qu'on parle de la colonisation aujourd'hui», affirme-t-il.

Source: www.lefigaro.fr