Planète : étrangeté globale

Chronique Il fait froid. Il fait très froid. L'Amérique est pétrifiée par une descente inédite d'air polaire qui congèle à peu près tout sur son passage. Dans l'autre hémisphère, c'est une joyeuse bande de touristes, de journalistes et de climatologues, partie sur un navire russe constater la fonte des glaces, qui se retrouve prisonnière de la banquise antarctique. Franchement… N'est-il pas grand temps de reconnaître que cette histoire de réchauffement n'est qu'une vaste blague ?

Pour comprendre pourquoi nous nous posons la question, il faut faire un saut dans le passé et revenir au milieu des années 1970.
Le 8 août 1975, dans Science, Wallace Broecker publie un article décisif. Si décisif qu'il forge encore la manière dont nous percevons les changements que nous affrontons aujourd'hui. Ce n'est pas rien. Et, fait notable, cela ne tient pas à une découverte : cela tient à deux mots. Deux mots réunis en une expression nouvelle, introduite dans le titre de l'article signé par le grand géochimiste de l'université Columbia. Voici ce titre : « Sommes-nous à la veille d'un réchauffement global prononcé ? » « Réchauffement global », on l'aura deviné, est l'expression nouvelle.

Elle a tant fait florès qu'elle nous semble aller de soi. Mais les choses ne sont pas si simples. Stricto sensu, ce qui se produit est un déséquilibre radiatif provoqué par les émissions humaines de gaz à effet de serre. Wallace Broecker aurait pu traduire cela par « perturbation », « dérèglement », « crise » ou – pourquoi pas ? – par « ensauvagement » climatique…

« RÉCHAUFFEMENT GLOBAL »

S'il a choisi « réchauffement », c'est en référence à l'augmentation de la quantité de chaleur introduite dans le système climatique. Pour le physicien, c'est l'évidence, mais pour le béotien ? « Cela sous-entend quelque chose de graduel, d'uniforme et de bénin, expliquait John Holdren, professeur de sciences de l'environnement à Harvard, dans une conférence donnée voilà quelques années. Ce que nous vivons n'est rien de cela. » Pour en donner la mesure, certains ont même proposé « cancer atmosphérique »…

L'expression « réchauffement global » n'est pas seulement un puissant anesthésique. Elle trompe notre perception du changement en réduisant celui-ci à une manifestation unique, la probabilité accrue de températures élevées. Et elle ne dit rien des effets majeurs du phénomène qu'elle prétend définir : montée et acidification des océans, bouleversement de la circulation atmosphérique et des précipitations, renforcement des régimes d'incendies, augmentation de la fréquence des cyclones les plus puissants…

Le climat ne va pas devenir uniformément plus chaud, partout, toujours et en toute saison. Il deviendra de plus en plus étrange. Des cyclones Sandy et Haiyan aux inondations bretonnes, en passant par le coup de froid américain et les caprices de la banquise antarctique, cette « étrangeté globale », si elle échappe à toute métrique, se confirme à peu près chaque semaine.

Source: www.lemonde.fr