Espagne. Ebola : à l’hôpital Carlos III de Madrid, le personnel médical « inquiet et en colère »

Devant l’hôpital Carlos III de Madrid, mardi 7 octobre, une batterie de journalistes font le pied de grue, en attendant une information, un témoignage, une piste qui permette de comprendre comment l’aide-soignante Teresa R. a pu être contaminée par le virus Ebola. Des policiers, visiblement tendus, surveillent que la presse ne s’approche pas de l’entrée de l’hôpital et reste derrière les grilles du parking. Les photos sont interdites, nourrissant l’image d’un début de psychose et d’une information verrouillée. De rares patients entrent et sortent. Ceux qui acceptent de parler se disent « tranquilles », mais qualifient les infirmières de « perturbées ».
Pour le moment, l’aide-soignante se trouverait dans une situation stable, après avoir reçu deux traitements : un sérum d’« hyperimmunité » provenant d’un donneur anonyme qui a développé des anticorps après avoir été contaminé par le virus Ebola, et un antiviral efficace sur les petits animaux, selon Rafael Perez-Santamaria, le directeur de l’hôpital La Paz, dont dépend l’hôpital Carlos III.

Beaucoup de questions restent en suspens concernant ce premier cas de contagion du virus Ebola en dehors de l’Afrique. L’aide-soignante contaminée, qui a soigné les deux missionnaires espagnols rapatriés en août et en septembre du Liberia et de Sierra Leone alors qu’ils étaient porteurs du virus, morts depuis, affirme, selon le ministère de la santé, avoir suivi à la lettre le protocole.

Comment dans ce cas expliquer la contamination de cette femme de 44 ans expérimentée ? Pourquoi, alors qu’elle a prévenu l’hôpital le 30 septembre des premiers symptômes — un début de fièvre et un malaise général —, a-t-elle d’abord été renvoyée vers les services de médecine ordinaire, avant d’être placée en chambre d’isolement seulement le 6 octobre ? Comment expliquer que les tests d’Ebola ne lui ont pas été pratiqués plus tôt ? Pour le moment, le gouvernement n’a aucune explication à donner, si ce n’est que la fièvre était trop basse pour avoir provoqué l’activation du plan de surveillance des patients suspects.

FORMATION À LA VA-VITE ET SOUS-EFFECTIF

Aux alentours de 11 heures, mardi, une poignée d’infirmières arrivent à l’hôpital et acceptent de parler à la presse, à condition de ne pas être filmées ni photographiées, et de conserver l’anonymat. Visiblement choquées, très en colère, elles dénoncent le discours officiel qui pointe du doigt une possible « erreur humaine ».

Pour elles, la faille, si elle existe, revient d’abord aux autorités sanitaires qui les ont formées à la va-vite lorsque le premier patient, le missionnaire Miguel Pajares, est arrivé à l’hôpital Carlos III, le 7 août. Elles critiquent aussi les tenues de protection, et ces gants en latex scellés avec de l’adhésif dont les images ont fait scandale en Espagne, malgré l’assurance de la part des autorités médicales qu’ils répondent aux recommandations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Elles se plaignent de travailler en sous-effectif à cause des mesures d’austérité prises durant la crise. Enfin, elles qualifient le suivi d’insuffisant, qui se résume à un appel téléphonique par jour pour vérifier l’état de santé du personnel médical qui a été en contact avec les missionnaires.

« BEAUCOUP D’IMPROVISATION ET DE NÉGLIGENCE »

Ce sont ces infirmières qui les premières révèlent que trois autres personnes se trouvent à l’isolement, au sixième étage, dans les chambres à pression négative réservées aux patients suspectés d’avoir contracté le virus Ebola. Peu après, l’information est confirmée par le directeur de l’hôpital La Paz. Il s’agit du mari de Teresa R., qui a été placé en quarantaine bien qu’il ne présente pas de symptôme pour le moment, d’une autre infirmière ayant traité les missionnaires, dont le test du virus s’est révélé négatif, et d’un homme, en provenance du Nigeria, qui doit être encore suivi.

« Les travailleurs de l’hôpital sont inquiets, apeurés et en colère, résume Juan José Cano, délégué syndical du syndicat des infirmiers Satse, devant les portes de l’hôpital. Bien avant le premier cas d’Ebola en Espagne, nous avions demandé une formation, un entraînement et des simulacres pour se préparer à de possibles cas. Mais nous n’avons jamais eu de réponse, et lorsque le premier missionnaire infecté a été rapatrié tout a été fait rapidement, avec beaucoup d’improvisation et de négligence, et nous avons reçu des formations de quinze minutes. »


COUPES BUDGÉTAIRES

A cela s’ajoutent les doutes sur la fiabilité de l’hôpital Carlos III. Cet établissement sanitaire avait été menacé de fermeture durant la crise économique qui a touché l’Espagne. De fait, le service spécialisé dans les maladies infectieuses de type épidémies et pandémies, situé au sixième étage, avait été fermé et l’hôpital réservé aux hospitalisations de moyenne et longue durée. « Avec les coupes budgétaires liées à la crise, le service de santé de la région a décidé que l’hôpital n’allait plus être la référence en matière de traitement des épidémies, parce qu’il ne remplissait pas les exigences nécessaires pour cela. Mais quand est arrivé le premier missionnaire infecté, il a été rouvert à la va-vite en une journée, alors qu’on nous disait qu’il fallait y faire des travaux », poursuit M. Cano.

Déjà le 6 août dernier, la veille de l’arrivée du premier missionnaire infecté, le président du syndicat des médecins (Amyts), Daniel Bernabeu, s’était élevé contre des « prises de risque non nécessaires » et avait comparé la situation des Etats-Unis, où il existe une dizaine d’hôpitaux avec un niveau 4 d’isolement, avec celle de l’Espagne, où il n’existe que « le vieil hôpital Carlos III avec un niveau 2 et des éléments du niveau 3 pour la manipulation de prélèvements ». Lundi, il s’est dit « consterné et indigné » par la nouvelle de la contagion.

Mercredi, une manifestation des associations de défense de la santé publique est prévue à Madrid pour demander la démission de la ministre de la santé, Ana Mato. Bruxelles, de son côté, a requis des explications de l’Espagne sur l’origine de la contagion.

Source: www.lemonde.fr